retour accueilDiscours de ces Messieurs  du FRAC Haute Loire - Basse Normandie

représenté par Mrs SUSSE et POUSSE 
délégués, mandatés spécialement  et dûment assermentés

Extraits de Tristes Tropiques de Claude Lévi-Strauss

 

 « Depuis l’enfance la mer m’inspire des sentiments mélangés. Le littoral et cette frange périodiquement cédée par le reflux qui le prolonge, disputant à l’homme son empire, m’attirent par le défi qu’ils lancent à nos entreprises, l’univers imprévu qu’il recèlent, la promesse qu’ils font d’observations et de trouvailles flatteuses pour l’imagination.

 J’aime errer sur la grève délaissée par la marée et suivre aux contours d’une côte abrupte l’itinéraire qu’elle impose, en ramassant des cailloux percés, des coquillages dont l’usure à réformer la géométrie, ou des racines de roseaux figurant des chimères, et me faire un musée de tous ces débris : pour un bref instant, il ne le cède en rien à ceux ou l’on a assemblé des chefs d’œuvre ; ces derniers proviennent d’ailleurs d’un travail qui –pour avoir son siège dans l’esprit et non au dehors- n’est peut-être pas fondamentalement différent de celui à quoi la nature se complait. 

Mais n’étant ni marin, ni pécheur, je me sens lésé par cette eau qui dérobe la moitié de mon univers et même davantage, puisque sa grande présence retentit en deçà de la côte, modifiant souvent le paysage dans le sens de l’austérité… »

« Au surplus, les charmes que je reconnais à la mer nous sont aujourd’hui refusés. Comme un animal vieillissant dont la carapace s’épaissit, formant autour de son corps une croûte imperméable qui ne permet plus à l’épiderme de respirer et accélère ainsi le progrès de la sénescence, la plupart des pays européens laissent leur côtes s’obstruer de villas, d’hôtels et de casinos. Au lieu que le littoral ébauche, comme autrefois, une image anticipée des solitudes océaniques…

Les plages où la mer nous livrait les fruits d’une agitation millénaire, étonnante galerie ou la nature se classait toujours à l’avant garde, sous le piétinement des foules ne servent plus guère qu’à la disposition et à l’exposition des rebuts. »